Il se fait construire un nouveau palais, mais affirme qu'il effectue son dernier mandat. Sur ce sujet comme sur Al-Qaïda, l'affaire Borrel ou les bases militaires, le chef de l'État répond à sa manière. Carrée.
(Mis à jour le 3 avril à 13h20 - voir la précision du cabinet du directeur exécutif d'Onusida)
Un dimanche de mars autour de la piscine du Kempinski, l'hôtel en vogue de Djibouti. Sur fond de R'n'B et de musique country, la planète kaki prend ses aises. Militaires espagnols, italiens et allemands de l'opération Atalanta (lutte contre la piraterie dans l'océan Indien), marines américains, parachutistes français et officiers japonais cohabitent sans se mélanger, cannette de Coca à la main, tous muscles tatoués dehors. Pour le visiteur pressé, passé sans transition de l'aéroport d'Ambouli, où les drones Predator voisinent avec les Mirage 2000, à la tour de Babel dominicale des soldats en permission de repos, Djibouti est une ville-garnison multinationale, un peu comme le Berlin-Ouest de la guerre froide. Mais Djibouti, même si 70 % de son petit million d'habitants vivent dans la capitale, est aussi un État indépendant depuis 1977, avec tout ce que les pays africains connaissent comme problématiques de gouvernance et de développement.
Arrivé au pouvoir en 1999, le président, Ismaïl Omar Guelleh, 66 ans, consacre l'essentiel de son temps à inscrire sur la carte de la mondialisation cette ancienne colonie française à l'existence toujours précaire, mais dont la situation géostratégique, au confluent de la mer Rouge et du golfe d'Aden, est unique et suscite bien des convoitises. Confronté à une opposition pugnace sur fond de fractionnements tribaux et claniques encore vivaces, ce petit-fils d'un notable issa, dont le père travailla pour la Compagnie du chemin de fer franco-éthiopien, a fini par prendre son parti d'être avant tout connu en France pour son rôle présumé - et qu'il a toujours vivement démenti - dans l'affaire non élucidée de la mort du juge Borrel, en 1995. À deux ans de la prochaine élection présidentielle, "IOG" continue par ailleurs de maintenir qu'il ne s'y présentera pas. Même si la Constitution l'y autorise. Et même si, à Djibouti, où le chef de l'État s'apprête à prendre possession du nouveau palais de la République, construit par les Chinois, bien rares sont ceux qui y croient vraiment.
Jeune Afrique : Il y a un an, pour la première fois, l'opposition djiboutienne participait à des élections, législatives en l'occurrence. Mais elle en a contesté les résultats et a annoncé son refus de siéger à l'Assemblée. Depuis, des négociations se sont tenues avec votre gouvernement, lesquelles viennent de se conclure sur un échec. Pourquoi ?
Ismaïl Omar Guelleh : Les politiciens qui ont formé cette alliance de circonstance qu'est l'USN [Union pour le salut national] n'ont rien en commun, ni programme ni stratégie cohérente. Nous avons donc assisté à une série d'avancées, suivies de reculades intempestives, comme si leur penchant naturel était d'accepter nos concessions mais que des conseillers occultes intervenaient aussitôt pour les sommer d'être intransigeants. La composante la plus dure au sein de cette opposition, celle des Frères musulmans, a prétendu marchander la participation de l'USN à l'Assemblée contre la reconnaissance de cette tendance en tant que parti. Nous leur avons répondu qu'il ne saurait en être question, à moins de violer la Constitution. Ils ont donc joué la rue en manifestant chaque vendredi dans la violence à la sortie des mosquées, ce qu'ils continuent de faire, avec de moins en moins de succès.
Vous avez vous-même reçu, le 1er février, le coordinateur de l'USN, Aden Mohamed Abdou. Que vous êtes-vous dit ?
Il est venu me voir avec deux revendications précises : un meilleur accès de l'opposition aux médias nationaux et un statut pour cette même opposition. En échange, les dix députés de l'USN étaient d'accord pour siéger. J'en ai accepté le principe. Mais cinq jours plus tard, voilà qu'ils reviennent avec un document comportant d'autres exigences, inacceptables celles-là, à commencer par la légalisation des partis islamistes ! Encore une fois, les mauvais conseillers de l'ombre étaient à l'oeuvre. Tout s'est arrêté là.
Parmi ces exigences figure aussi l'extension des prérogatives de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), y compris jusqu'à la proclamation des résultats. Pourquoi est-ce inacceptable ?
L'opposition se méfie de moi, mais elle veut ma signature au bas de tout accord, quel qu'il soit. Allez comprendre...
Une Ceni existe à Djibouti depuis 1992. Elle fonctionne comme partout ailleurs. Mais le ministère de l'Intérieur ne saurait être tenu à l'écart du processus électoral, comme si l'État devait s'effacer.
Manifestement, votre opposition ne vous fait pas confiance.
Elle se méfie de moi, mais elle veut ma signature au bas de tout accord, quel qu'il soit. Allez comprendre...
Trois oulémas proches des Frères musulmans ont été condamnés à un an et demi de prison. Comptiez-vous les gracier si un accord était intervenu ?
J'y étais prêt. Et ils le savaient. Mais les plus intransigeants au sein de l'USN, à commencer par Daher Ahmed Farah, ont préféré l'affrontement.
Cette libération n'est donc plus à l'ordre du jour ?
Effectivement. Dans ces conditions, ils purgeront leur peine jusqu'à sa fin.
Ce blocage est tout de même très pénalisant pour la démocratie djiboutienne...
Qu'y puis-je ? J'ai affaire à des gens qui veulent tout le pouvoir tout de suite ou rien. En réalité, je ne crois pas que cette opposition ait intérêt au dialogue. Et je crois qu'elle va finir par se disloquer : parmi les dix députés, deux ont déjà rejoint les bancs de l'Assemblée.
L'homme d'affaires Abdourahmane Boreh, autrefois très proche de vous, est souvent cité par vos partisans comme étant l'un des principaux sponsors de l'opposition. Il réside actuellement à Dubaï, et vous avez demandé son extradition. Où en êtes-vous ?
C'est en bonne voie. Nos avocats viennent de déposer leur dossier auprès des autorités judiciaires émiraties pour détournement et abus de biens sociaux.
À l'entendre, il s'agit là d'un acharnement purement politique.
Absolument pas. Nous lui réclamons 100 à 150 millions de dollars [72 à 108 millions d'euros], dus à l'État djiboutien.
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